Sémélé et Bacchus
Pour séduire les mortelles, Jupiter n’hésitait pas à revêtir les formes les plus diverses, se métamorphosant parfois en cygne, parfois en taureau, parfois même en pluie. Dans le cas de Sémélé, une jeune princesse thébaine, il se contenta d’abord de prendre une forme humaine.
Cependant, comme Sémélé lui résistait, il finit par lui révéler sa véritable identité. Sémélé céda alors à ses avances. Mais, poussée par l’irrésistible curiosité des filles de Pandore, elle brûlait de savoir de quoi avait vraiment l’air le maître de l’Olympe.
— Promets-moi de me faire un petit plaisir, dit-elle une nuit à Jupiter.
Imprudemment, Jupiter promit.
— Montre-toi à moi dans toute la splendeur de ton apparence divine, lui demanda-t-elle alors.
Jupiter savait qu’aucun mortel ne pouvait supporter une pareille vision, mais il avait pour principe de toujours tenir ses promesses.
— Tu l’auras voulu, dit-il tristement, et il reprit sa forme divine.
Aussitôt, Sémélé s’embrasa comme une torche. Elle n’eut que le temps, avant d’expirer, de crier à Jupiter :
— Sauve ton enfant que je porte en moi !
Jupiter retira prestement du ventre de Sémélé le fœtus de quelques semaines qui s’y trouvait et, ne sachant qu’en faire, l’introduisit dans sa propre cuisse. Quelques mois plus tard, au terme d’une gestation sans histoire, Bacchus sortait de la cuisse de Jupiter.
Parce qu’il était le fils d’une mortelle, Bacchus n’aurait dû être normalement qu’un demi-dieu ou même un simple héros. Mais, parce qu’il l’avait lui-même porté et enfanté, Jupiter décida d’en faire un dieu à part entière.
Lorsqu’il fut grand, Bacchus, qui, du fait sans doute de son ascendance maternelle, éprouvait une tendresse particulière pour l’espèce humaine, voulut lui rendre un service éminent. Avant lui, Prométhée avait donné aux hommes l’Espérance, qui permet de mieux supporter les douleurs physiques et morales. Ce n’était déjà pas mal, surtout si, comme l’affirment certains philosophes pessimistes, la réduction de la souffrance est le projet le plus ambitieux que puissent, avec quelque réalisme, s’assigner les hommes. Mais Bacchus n’avait lu ni Schopenhauer ni Freud, et il voulait faire mieux que Prométhée en offrant aux hommes une source inépuisable de plaisirs, de gaieté et de fêtes. Il leur fit don du vin. Il consacra plusieurs années de sa vie à propager sur toute la terre la culture de la vigne et le culte du vin. Il allait de pays en pays, à la tête d’un groupe de faunes, de dryades et de bacchantes. Deux compagnons, tous deux immortels, ne le quittaient pas. Le premier, Silène, était un vieillard bedonnant, rubicond et aviné. Il fallait deux assistants pour le soutenir sur son âne. Le second, Pan, était comme les faunes, velu et cornu avec des pieds de chèvre. Il ne cessait de poursuivre les nymphes, mais sa laideur extrême les faisait s’enfuir devant lui, saisies de peur « panique ». Il se consolait en buvant du vin et en jouant d’une flûte à cinq tubes qu’il avait inventée. Du haut de l’Olympe, Jupiter regardait souvent avec indulgence et amusement le joyeux cortège conduit par Bacchus, et se sentait alors enclin à partager la tendresse de son fils pour les hommes.